Sérieux et logique ne paient pas toujours en bourse

Par Christophe Gautheron, le 09/05/2009

J’ai chipé à un auteur pas encore célèbre, et terriblement sympathique -je le sais car je le connais bien- la citation suivante qui fait figure d’introduction à son dernier livre :
« Le trader et l’investisseur sont sous le contrôle d’émotions inconscientes, et leurs actes sont dénués de la logique dont ils se prévalent ».
Les intervenants réguliers sur les marchés financiers resteront probablement pétrifiés par le fait qu’en quelques mots, tout est exprimé sur la réalité du trading.
Pour les autres, c’est-à-dire pour ceux qui restent scotchés face à l’hermétisme de cet aphorisme financier, je vais tenter de vous illustrer la chose.

On attend de l’aphorisme qu’il prononce le vrai, et je sais qu’en matière de finance, le vrai, une fois énoncé, provoque systématiquement des accès de fureur … alors, petites guêpes, soyez gentilles, ne m’aiguillonnez pas trop violemment.

« On peut gagner beaucoup d’argent sur les marchés financiers avec un taux d’opérations réussies de 50%, voire beaucoup moins, par exemple : 30 % d’opérations à succès ! » : voilà le secret que nous confia jadis, un vieux professeur d’économie qui faisait couiner sa craie blanche sur le tableau noir, tandis que nous notions vigoureusement son conseil avisé en noir sur nos pages blanches.

« Sur le plan arithmétique, en voilà une proposition qu’elle est robuste ! » affirmera avec aplomb la fameuse Madame Michu avec son PEA à -65% …
En effet, il suffit que les 50% de cas gagnants génèrent des gains copieux tandis que les 50% de pertes soient d’envergure famélique, et hop, le tour est joué.
Mais, il y a un hic !
Car, s’il est vrai qu’un auteur ne fait pas un bon critique, pas plus qu’un ivrogne ne fait un bon barman, alors moins encore, un dévoué professeur d’économie au sein d’une grande école ne fait un bon trader.
En effet, ce raisonnement est parfaitement viable sur le plan financier, mais il fait fi d’une méconnaissance du fonctionnement du cerveau et de la psychologie des êtres.
Sur le plan cérébral : un gain n’est pas égal à une perte.

Au sein du cerveau, une perte laisse un sillon environ 3 fois plus profond qu’un gain. C’est là une constante dans tout le genre animal.
Dame nature, par le biais de l’évolution, nous a raffiné un logiciel qui agit de telle manière qu’une peur nous laisse de bien plus profondes empreintes qu’une joie.
Cela afin de nous éloigner à tout prix de ce qui nous est pathogène, et de nous pousser inconditionnellement vers ce qui est profitable.
La série : un gain, une perte, un gain, une perte, un gain, une perte … ne fait pas zéro !
Cette séquence reproduite à l’infini, laisse l’individu normalement constitué, non pas dans une situation psychologiquement équilibrée, mais plutôt dans une configuration de déficit émotionnel : ce qui revient à le placer dans l’antichambre de la dépression.
Sur le plan cortical, aussi bien que sur le biais hormonal, l’équilibre idéal se situerait du côté de 3 gains pour 1 perte … 75 % de positions gagnantes, indépendamment du montant ! […]

En cas de choix inadapté qui tournerait au cauchemar, la partie rationnelle du cerveau se déchaînera pour trouver en rafale des arguments logiques dans le but de tenter de rationaliser le hasard, et pour vous contraindre à tenir vos positions en mode espoir.
Tous les chercheurs connaissent ce trait de caractère qu’ils affublent de biais de confirmation.
Lorsque les moins values deviendront épouvantables, le cerveau rationnel ira jusqu’à se concentrer uniquement sur les informations confirmant le sens de votre choix primaire, occultant à la manière de l’autruche (c’est-à-dire les yeux fermés, la tête dans le trou, et le postérieur en l’air bien en évidence … le marché est vicieux, attention à la savonnette !), tout ce qui va à l’encontre du choix initial.
Faites un tour rapide sur le site internet de votre broker préféré.
Branchez vous sur les forums des actions : Thomson, Soitec, Orco, Alcatel, Natixis, AGF, Rodriguez, BNP, Nicox … et jugez par vous-même de l’expérience des protagonistes.
Mesurez ce qu’ils échangent quotidiennement à l’aune de ce que je viens de d’écrire, et faites vous un avis personnel. […]

Version intégrale publiée sur https://www.abcbourse.com/analyses/chronique-serieux_et_logique_ne_paient_pas_toujours_en_bourse-164

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